Auteur: Sylvestre Desterres
Je suis allé assister à la 15e Conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP15) qui a réuni plus de 200 pays à Tiohti:áke afin de se doter d’objectifs sur la protection et la préservation de la biodiversité. Un accord historique a finalement été signé et vise à protéger 30% des terres et des mers.
Plusieurs milliers de gens ont donc eu un temps de réflexion au-dessus des océans avant de poser pied ici sur un petit territoire entouré d’eau afin de s’attaquer à l’un des plus importants enjeux auquel notre planète bleue aura à faire face, soit la perte de notre biodiversité.
L’eau est un élément pourtant essentiel à la survie des espèces vivantes. Water is life disait-on. Il est aussi utile pour les barrages et les mines. Beaucoup trop, en fait. Souvent, cela a aussi des impacts auprès des populations autochtones et des espèces vulnérables.
Au Québec, le gouvernement actuel envisage l’exploitation d’autres barrages hydroélectriques pour répondre à la demande grandissante de la transition énergétique. La rivière Magpie qui a reçu le Prix Droits et Libertés 2022 décerné par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse[1] lors d’une cérémonie organisée le 7 décembre 2022 était dans la mire en 2018[2]. Souvenons-nous que les rivières sont les autoroutes des nomades autochtones et lorsqu’on parle de barrages, ceux se trouvant dans le territoire des Innus de Pessamit ont été construits sans considération de ces derniers. Effectivement, treize (13) centrales hydroélectriques ainsi que seize (16) barrages se trouvent présentement sur le territoire ancestral des Pessamiulnuat[3]. Or, l’exploitation de rivières pour produire de l’électricité vient rouvrir les plaies du passé pour plusieurs membres de Pessamit, ces derniers n’ayant jamais été compensés pour les dommages qu’ils ont subis.
Faut-il se rappeler que des milliers de caribous ont été par ailleurs emportés par les eaux de la rivière lorsqu’il y a eu l’ouverture des vannes du réservoir de la Caniapiscau en territoire eeyou istchee[4]. À la COP15, il a justement été question du caribou menacé de toutes parts par les compagnies forestières, minières et hydroélectriques. En outre, lors de la 15e Conférence, les communautés innues d’Essipit et de Pessamit exigeaient de Québec de protéger le caribou forestier qui est un animal parapluie et sacré.
Bref, l’eau ne devrait pas avoir la vocation de devenir une marchandise ou un instrument; cela a des répercussions sur les êtres vivants. Son utilisation devrait d’ailleurs être réglementée ou renforcer les lois qui existent déjà, notamment pour contrer les eaux contaminées.
Les antécédents de compagnies minières à travers le monde et ici au Québec dont à Schefferville ont souvent mis à mal le territoire des Innus. Les trous rouges de lac de fer laissés par les compagnies minières ne devraient plus avoir lieu en 2023. Il est aussi évident que ces entreprises devraient faire plus quant à l’utilisation de l’eau et aux rejets dans la nature. En outre, au lac Tetepisca, la compagnie Focus Graphite envisage d’exploiter le graphite qui se trouve tout près[5]. Ce lac est emblématique dans la mesure où des pictogrammes auraient été retrouvés et que des légendes innues racontent que ce serait un lieu que les Memekueshuat habitaient[6]. Sur le plan juridique, les légendes sont d’une importance capitale puisque celles-ci renferment souvent des principes et valeurs d’ordres juridiques innues qui ont permis la cohésion entre membres de la nation durant plusieurs millénaires.
L’eau fait partie intégrante d’un lac. Ce dernier devrait donc être protégé, en plus des considérations historiques, cérémoniels et spirituels.
Certes, le premier ministre Legault avait annoncé qu’un projet de loi sur l’eau est envisagé. La mise en place d’un Fonds bleu viserait par ailleurs la protection des lacs et rivières du Québec et se financerait par l’entremise de redevances collectées auprès d’entreprises utilisant l’eau[7]. Les compagnies minières devraient donc elles aussi payer des redevances autant aux Innus qu’aux Québécois sur l’utilisation de l’eau.
Vraisemblablement, le point de vue autochtone sera nécessaire dans ce projet de loi afin d’éviter que ces nations distinctes vivent des préjudices quelconques à leur endroit. Pour clore, nous avons reçu trois cartes postales à l’ouverture de la COP15. Parmi celles-ci figuraient des étendues d’eau. Souhaitons que les provinces du Canada aient remarqué ce détail important.
Sylvestre est membre de la Première Nation Innue de Pessamit. Ayant obtenu un baccalauréat en science politique de l’Université Laval, monsieur Desterres poursuis actuellement ses études en Certificat au droit autochtone à l’Université d’Ottawa.
[1] https://www.cdpdj.qc.ca/fr/actualites/pdl-2022-finalistes
[2] https://www.lesoleil.com/2023/01/27/legault-entre-barrages-et-tunnel-ba965b406d035e860dd93c41132d1d28
[3] https://amnistie.ca/urgence-climatique-en-territoire-innu
[4] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1319405/caribous-migration-catastrophe-hydro-quebec-archives
[5] https://focusgraphite.com/fr/lac-tetepisca/
[6] https://www.collectionscanada.gc.ca/obj/s4/f2/dsk2/ftp03/MQ55785.pdf
[7] https://coalitionavenirquebec.org/wp-content/uploads/2022/08/220823-fiche-media-fonds-bleu-vf.pdf